05/11/25
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La mainmise d’Amazon sur le shopping européen s’effrite. Après des années de domination incontestée, le géant américain fait face à sa menace la plus sérieuse à ce jour – et elle vient de Chine.
Trois plateformes en particulier attirent l’attention : Temu, avec ses prix incroyablement bas et son expérience d’achat gamifiée et addictive. SHEIN, le mastodonte de la fast fashion devenu le plaisir coupable de millions de jeunes Européens. Et JoyBuy, le challenger plus discret qui bâtit patiemment des passerelles entre fabricants chinois et acheteurs occidentaux.
Elles ne pourraient pas être plus différentes les unes des autres. Mais elles partagent un atout puissant : un accès direct aux usines chinoises, une adaptation éclair aux attentes des clients et une volonté d’évincer les acteurs établis par des prix si agressifs qu’ils semblent presque téméraires.
La question n’est plus de savoir si ces plateformes sont en train de remodeler l’e-commerce européen. C’est de savoir si quelqu’un peut les arrêter – et ce que cela implique pour notre façon d’acheter dans les années à venir.
Les chiffres racontent une histoire frappante. À la mi-2025, Temu avait déjà conquis 93,7 millions d’Européens qui consultent l’application chaque mois. SHEIN fait encore mieux : plus de 100 millions d’utilisateurs mensuels, dont beaucoup ouvrent l’application plusieurs fois par jour (source : SHEIN).
Amazon semble toujours imbattable dans ses bastions d’Europe occidentale. Deux tiers des acheteurs en ligne allemands l’utilisent. Plus de la moitié des consommateurs français aussi. En Italie, on approche les 70 %.
Mais dès qu’on se tourne vers l’est, le tableau change radicalement. En Pologne, Amazon est presque invisible, avec moins de 10 % de part de marché. Ce sont dans ces brèches – ces marchés où Amazon n’a jamais vraiment pris racine – que les plateformes chinoises explosent. On parle de croissances de 60 % à 100 % d’une année sur l’autre, tandis que les détaillants européens peinent à suivre.
Et il y a un troisième acteur dont la plupart n’ont pas encore entendu parler : JoyBuy. Il fait encore ses premiers pas en Europe, mais possède un atout que les autres n’ont pas : le soutien total de JD.com, le deuxième plus grand groupe d’e-commerce chinois. Un tel appui ne garantit pas le succès, mais il assure une chose : ils sont là pour durer.
| Aspect | Temu | SHEIN | JoyBuy |
|---|---|---|---|
| Société mère | PDD Holdings (Pinduoduo) | Entreprise privée | JD.com |
| Fondation | 2022 | 2008 | 2024 (rebranding de Ochama/Joybuy) |
| Siège | Shanghai, Chine | Singapour | Shanghai, Chine |
| Modèle économique | Marketplace à commission directe-usine, fortement subventionnée | Fast fashion verticale, gestion des stocks, modèle semi-géré | Modèle hybride retail + marketplace, axé sur les entrepôts locaux |
| Catégories principales | Produits généraux : maison, cuisine, animaux, électronique, mode | Mode rapide : vêtements, accessoires, cosmétiques, articles pour la maison | Produits du quotidien, électronique, cosmétiques, maison, alimentation |
| Entrée sur le marché de l’UE | Printemps 2023 | Déjà établie (focus expansion) | Printemps 2025 (R.-U.), août 2025 (France) |
| Utilisateurs actifs mensuels (UE) | 93,7 millions (2025) | 100+ millions (2024–2025) | Phase initiale, données limitées |
| Délai de livraison standard | 10–20 jours ouvrables | 7–15 jours ouvrables | Le jour même à 1–2 jours (Londres et UE) |
| Entrepôts locaux | Oui – Allemagne, France, Espagne, Pays-Bas, Italie, Autriche | Oui – Wroclaw (Pologne), Stradella (Italie), autres hubs | Oui – France, Pays-Bas, Pologne, Royaume-Uni |
| Commissions des marchands | Aucune commission de base (actuellement) | 4–6 % (avec 50 % de réduction la première année) | 4–6 % de commission, dépôt de garantie modéré |
| Frais d’expédition marchands | Minimes ou pris en charge par Temu | Gérés par la logistique Shein | Gérés par les marchands ou via la logistique JoyBuy |
| Avantage concurrentiel clé | Prix ultra-bas, livraison gratuite, gamification, fortes subventions | Chaîne d’approvisionnement rapide, réactivité aux tendances, collaborations design | Vitesse (jour même/lendemain), logistique locale, accent sur la qualité |
| Statut réglementaire | Sous enquête DSA (juillet 2025), premiers constats de non-conformité | Amende de 40 M€ en France (juillet 2025), demandes de conformité DSA | Phase initiale, recrutement actif de vendeurs européens |
Aller plus loin
Temu n’a pas encore trois ans, mais c’est déjà la marketplace à la croissance la plus rapide d’Europe – 63 % de croissance sur un an, avec des ventes qui devraient atteindre 15 milliards d’euros en 2025 (source : Cross-Border Magazine).
Le modèle est d’une simplicité brutale : connecter les acheteurs européens directement aux usines chinoises, éliminer tous les intermédiaires et tout vendre à prix cassés. Derrière se trouve PDD Holdings, l’entreprise qui a fait de Pinduoduo un géant du e-commerce chinois.
Mais voilà le hic : Temu perd énormément d’argent, peut-être jusqu’à 950 millions de dollars par an. Rien qu’en 2023, l’entreprise a dépensé près de 2 milliards de dollars en publicité, perdant environ 30 dollars par commande. Selon Goldman Sachs, la société a payé environ 5 dollars pour acquérir un client qui dépense 39 dollars. C’est un pari : conquérir les utilisateurs maintenant, s’occuper des bénéfices plus tard.
La stratégie est déjà en train d’évoluer. Après avoir d’abord expédié tous ses produits depuis la Chine (entraînant des délais de plusieurs semaines), Temu a opéré un virage majeur fin 2024. La plateforme s’est ouverte aux vendeurs européens et a commencé à exploiter des entrepôts locaux en Allemagne, en France, en Espagne et ailleurs. Les délais de livraison sont passés de plusieurs semaines à quelques jours. L’entreprise affirme vouloir bientôt traiter 80 % des commandes européennes localement.
Mais il y a un revers. Les régulateurs européens ne sont pas amusés. En juillet 2025, Bruxelles a provisoirement conclu que Temu avait violé la législation européenne en ne parvenant pas à empêcher la vente de produits illégaux (jouets dangereux, appareils électroniques douteux) sur sa marketplace. Si cela se confirme, les amendes pourraient atteindre 6 % du chiffre d’affaires mondial.
Le pari de Temu, c’est que rien de tout cela n’aura d’importance une fois qu’ils auront fidélisé suffisamment de clients. Reste à savoir si les autorités européennes – ou les concurrents – les laisseront aller aussi loin.
SHEIN n’est pas le petit nouveau ambitieux, c’est l’acteur bien établi. Fondée en 2008, l’entreprise a généré entre 30 et 45 milliards d’euros en 2023 et, surtout, elle est rentable.
Son secret ? La vitesse. Le hub de SHEIN à Guangzhou coordonne plus de 3 000 fournisseurs qui produisent 10 000 nouveaux modèles chaque semaine. Au lieu de miser sur de vastes séries, l’entreprise fabrique de petits lots, observe en temps réel ce qui se vend, puis accélère la production des succès. C’est le modèle de Zara, dopé à l’ère d’Internet, avec des prix 50 à 70 % inférieurs à ceux des détaillants traditionnels.
En Europe, SHEIN est déjà solidement implantée : plus de 100 millions d’utilisateurs mensuels, des entrepôts en Pologne et en Italie, et plus de la moitié des acheteurs en ligne espagnols l’ont déjà utilisée. En France, selon Marketplace Universe, le taux de pénétration atteint près de 40 %. Selon Oxford Economics, les activités de SHEIN ont soutenu 6 100 emplois et ajouté 1,1 milliard d’euros au PIB de l’UE en 2023.
L’entreprise s’efforce également d’entretenir de bonnes relations avec les régulateurs européens — du moins sur le papier. Elle a lancé des programmes pour intégrer 600 designers européens et aider les petites entreprises locales à vendre via sa plateforme. Son argument : nous ne faisons pas que vous concurrencer, nous aidons à numériser le commerce européen.
Mais les régulateurs ne sont pas totalement convaincus. La France a infligé à SHEIN une amende de 40 millions d’euros en juillet 2025 pour allégations environnementales trompeuses. Bruxelles exige plus de transparence sur ses algorithmes et sur la protection des mineurs en ligne. Les critiques affirment qu’un modèle économique fondé sur la mode ultra-rapide et des prix dérisoires reste fondamentalement incompatible avec les objectifs de durabilité de l’UE, quel que soit le nombre d’incubateurs de créateurs financés par SHEIN.
Mais contrairement à Temu, SHEIN ne perd pas d’argent pour gagner des parts de marché. Elle les a déjà conquises.
Aller plus loin
JoyBuy est la troisième tentative de JD.com en Europe. Le géant chinois du e-commerce – numéro deux en Chine derrière Alibaba – a déjà échoué deux fois auparavant. D’abord avec la plateforme originale Joybuy (2015-2021), puis avec Ochama, une expérience de quick-commerce qui n’a jamais vraiment décollé. En août 2025, l’entreprise a changé de nom et relancé le service sous la marque JoyBuy.
Cette fois, l’approche est différente. JoyBuy ne cherche pas à être moins cher que Temu ni plus tendance que SHEIN. Son pari repose sur la vitesse et la qualité, en tirant parti de la logistique légendaire de JD.com pour assurer des livraisons le jour même ou le lendemain sur les principaux marchés. Les premiers tests à Londres auraient atteint des délais de livraison de 6 heures, équivalents à ceux que JD.com réalise en Chine.
L’assortiment de produits est plus pratique : alimentation, électronique, cosmétiques, articles ménagers essentiels. L’objectif est de viser les achats du quotidien dominés par Amazon, et non le désordre d’achats impulsifs de Temu ou les dernières tendances de SHEIN. La plateforme combine les stocks propres de JD.com avec une marketplace pour les vendeurs tiers, appliquant des commissions de 4 à 6 %, supérieures au zéro de Temu, mais compétitives face aux acteurs européens établis.
JoyBuy a lancé discrètement ses opérations au Royaume-Uni en avril 2025, s’est étendue à la France en août, et développe actuellement ses entrepôts en France, aux Pays-Bas et en Pologne. L’entreprise se positionne comme l’alternative conforme : construite dès le premier jour autour du RGPD, de la protection des consommateurs européens et des normes de sécurité des produits. C’est une pique directe aux problèmes réglementaires de Temu.
Le défi ? Presque personne n’en a encore entendu parler. JoyBuy dispose du trésor de guerre de 159 milliards de dollars de JD.com et de son expertise logistique, mais elle entre sur un marché où Amazon domine et où les concurrents chinois disposent déjà de bases d’utilisateurs massives. Le recrutement initial de vendeurs semble prometteur, mais transformer cela en notoriété auprès des consommateurs sera le véritable test.
La tendance est incontestable : les plateformes chinoises explosent là où Amazon n’a jamais cherché à dominer. En Pologne, Amazon détient moins de 10 % du marché. AliExpress atteint 40 %, Temu 36 %, et SHEIN 24 %. En Espagne et en Italie, SHEIN et AliExpress affichent respectivement des taux de pénétration de 50 % et 33 % (source : Marketplace Universe).
La croissance de Temu est particulièrement impressionnante, jusqu’à 100 % d’augmentation d’une année sur l’autre sur certains marchés européens, avec la Pologne enregistrant une hausse de 37,5 points de pourcentage en un an. SHEIN maintient une croissance solide de 50 à 60 % par an, particulièrement marquée dans le sud de l’Europe.
Les trois plateformes sont désormais dans le viseur du Digital Services Act (DSA). Avec plus de 45 millions d’utilisateurs mensuels chacune, elles sont classées comme des « Très Grandes Plateformes en Ligne » – ce qui implique des règles de conformité strictes et des sanctions sévères en cas d’infraction.
Temu est la plus exposée : elle risque une amende pouvant atteindre 6 % de son chiffre d’affaires mondial pour avoir laissé des produits illégaux inonder sa marketplace. SHEIN a déjà écopé d’une amende de 40 millions d’euros en France et fait face à des demandes continues de conformité de la part de Bruxelles. JoyBuy mise sur son approche « clean by design », conforme dès la conception, pour rester à l’écart des ennuis, mais cela reste à prouver.
Ces plateformes ne sont pas des concurrentes interchangeables : elles se partagent le marché selon le type de consommateur. Temu séduit les chasseurs de bonnes affaires prêts à attendre plusieurs semaines pour une coque de téléphone à 2 €. SHEIN appartient aux fashionistas de la génération Z en quête des dernières tendances. JoyBuy vise les consommateurs attentifs à la qualité qui recherchent la fiabilité d’Amazon sans ses prix élevés.
D’ici 2026, selon Cross-Border Magazine, Temu prévoit d’atteindre la rentabilité – environ 775 millions de dollars de résultat opérationnel – grâce à la montée en puissance de ses entrepôts locaux. SHEIN est déjà rentable et continue d’optimiser. JoyBuy, de son côté, ne fait que commencer son déploiement européen.
La fin du jeu ne consistera pas à voir une plateforme écraser les autres. Ce sera un écosystème fragmenté dans lequel les Européens passeront d’une application à l’autre selon ce qu’ils achètent : la mode rapide ici, les gadgets bon marché là, les produits fiables ailleurs. Pour les détaillants et vendeurs européens, cela représente à la fois une opportunité et un chaos : des millions de nouveaux clients, mais des marges extrêmement faibles et un terrain réglementaire semé d’embûches.
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