[Invité] En quoi consiste le règlement relatif au blocage géographique ?

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Suite à notre article sur le nouveau règlement sur le géo-blocage et son importance pour le e-commerce transfrontalier européen, nous avons demandé à Felix Meurer, avocat allemand spécialisé dans le e-commerce, d’apporter des détails sur ce nouveau règlement entré en vigueur le 3 décembre 2018.

Depuis le 3 décembre 2018, l’Union Européenne interdit le blocage géographique injustifié et d’autres formes de discrimination fondée sur la nationalité, le lieu de résidence ou le lieu d’établissement des clients dans le marché intérieur (2018/302).

L’introduction de ce nouveau règlement vise à améliorer le marché unique numérique. L’objectif étant de promouvoir le e-commerce transfrontalier et d’empêcher les e-shoppers d’autres pays de l’UE d’acheter à des conditions inférieures, voire même d’être complètement exclus du site e-commerce d’un marchand.

La pertinence du règlement pour les e-commerçants est élevée, car celui-ci s’applique directement dans chacun des 28 États membres de l’UE et ne doit donc pas être mis en œuvre au préalable par le législateur national concerné.

Ce règlement s’articule autour de trois grands domaines : D’une part, le géo-blocage lui-même est interdit (art. 3). Cela concerne le blocage ou la restriction de l’accès des clients d’autres pays de l’UE. D’autre part, les clients d’autres pays de l’UE doivent pouvoir faire leurs achats aux mêmes conditions que les clients du pays du prestataire de biens et de services (art. 4). Enfin, la discrimination dans le domaine des moyens de paiement doit à tout prix être évitée (art. 5).

A qui et à quoi s’applique le règlement sur le géo-blocage précisément ?

Le règlement sur le géo-blocage s’applique en principe à tous les contextes transfrontaliers. D’une manière générale, le champ d’application du règlement sur le géo-blocage couvre la relation « client – prestataire ». Le règlement s’applique à la fois aux particuliers et aux entreprises lorsque ces dernières achètent des biens ou des services en tant que clients finaux. Il s’applique non seulement aux boutiques en ligne classiques, mais aussi aux places de marché en ligne.

Par ailleurs, le texte juridique réglemente la vente non discriminatoire de biens et de services. Toutefois, il ne s’applique pas à tous les domaines. Les services financiers (services bancaires, opérations de crédit, opérations sur titres, etc.), les services de transport, les services de santé ou les jeux d’argent (art. 2, § 2) sont exclus. Les sites internet qui ne fournissent que des informations et sur lesquels aucun produit ne peut être acheté ne sont pas soumis au règlement.

Article 3 : les restrictions d’accès

L’article 3 du règlement sur le géo-blocage peut être décrit comme le « cœur » du texte, car il réglemente directement l’interdiction des restrictions d’accès. Ceci interdit aux prestataires de biens et de services de restreindre l’accès des clients à leurs « interfaces en ligne ». Les boutiques en ligne, en particulier, doivent donc être accessibles à toutes les clientes et tous les clients. A noter que les « interfaces en ligne » ne concernent pas seulement les sites web classiques et les boutiques en ligne, mais aussi les applications (art. 2 n° 16).

Jusqu’à présent, il était courant sur de nombreux sites Internet que les utilisateurs d’un certain pays ne puissent pas accéder à une autre version du site ou soient automatiquement redirigés vers une version correspondante du site sans pouvoir s’y opposer. Ceci n’est donc plus permis puisque chaque utilisateur doit pouvoir accéder au site de son choix.

Exemple : auparavant, les clients français qui souhaitaient accéder au site www.shop.de étaient automatiquement redirigés vers la version française de www.shop.fr. Désormais, il doit être possible pour les clients français ou toutes les personnes accédant au site via une adresse IP française d’accéder également à la version www.shop.de.

Une restriction fondée sur la nationalité, le lieu de résidence ou l’établissement du client n’est donc plus admissible. Toutefois, même après l’entrée en vigueur du règlement sur le géo-blocage, il n’est pas nécessaire que les e-commerçants disposent d’une version du site web pour chaque État membre de l’UE. Ainsi, les clients ne peuvent être adressés que dans certaines langues. Ces sites doivent également être accessibles aux clients d’autres pays de l’UE. Dans un premier temps, les clients peuvent être redirigés vers une autre version du site Web, à condition qu’ils en soient clairement informés et qu’ils donnent leur consentement explicite. Une action implicite, c’est-à-dire le simple fait de naviguer sur un site Web, n’est pas suffisante pour obtenir le consentement. Le client doit effectuer une action d’approbation active, par exemple cliquer sur une case à cocher. D’autre part, il devrait être possible d’enregistrer un consentement donné dans le compte de l’utilisateur au moyen d’un cookie ou d’un paramètre correspondant, de sorte que le transfert automatique soit autorisé lors de sa prochaine visite sur le site. D’autre part, l’art. 2 § 2 stipule également que chaque version du site Web doit rester facilement accessible au client, indépendamment de l’accord donné.

Par ailleurs, l’accès peut être restreint si cela est nécessaire pour satisfaire aux exigences légales du droit de l’Union ou du droit d’un État membre de l’UE (article 2, § 3). Cela peut être le cas, par exemple, pour répondre aux exigences de protection de la jeunesse ou en relation avec des produits dangereux pour la santé (feux d’artifice, médicaments, etc.).

Dans de tels cas, le prestataire doit clairement informer le client des raisons pour lesquelles l’accès est restreint. Les informations doivent être fournies dans la langue de la version du site Web que le client souhaite consulter.

Article 4 : les conditions générales

L’article 4 du règlement sur le géo-blocage interdit l’application de « conditions générales » différentes pour l’accès aux biens et services en raison de la nationalité, du domicile ou du lieu d’établissement du client. Les clients doivent donc pouvoir utiliser les biens et les services dans les mêmes conditions. Cependant, cela ne s’applique pas expressément si certaines dispositions du droit de l’Union ou du droit d’un Etat membre de l’UE interdisent aux prestataires d’offrir des biens ou des services à certains clients (art. 4 al. 5).

Exemple : un client allemand doit pouvoir acheter des produits dans une boutique en ligne française aux mêmes conditions qu’un client français.

L’interdiction de conditions différentes s’applique, d’une part, à l’achat de marchandises qui doivent être livrées à un endroit déterminé appartenant à la zone de livraison du prestataire ou qui peuvent être enlevées à un endroit (art. 4 § 1). Cela ne signifie pas pour autant que les commerçants en ligne sont désormais obligés d’offrir des livraisons dans tous les États membres de l’UE. Si un commerçant en ligne français n’offre que l’enlèvement et la livraison à l’intérieur de la France, c’est toujours possible. Cependant, le commerçant doit désormais permettre aux clients allemands d’acheter des marchandises dans sa boutique en ligne et de les retirer eux-mêmes ou de les faire envoyer à une adresse en France. Le client doit alors prendre en charge lui-même le transport jusqu’en Allemagne. Si un prestataire propose également des livraisons aux Pays-Bas, le client français doit également pouvoir faire livrer les marchandises à une adresse aux Pays-Bas.

De plus, il n’est pas nécessaire que les commerçants en ligne livrent dans tous les États membres de l’UE au même prix. Par exemple, si un marchand en ligne français facture 9,99 € pour les livraisons en France, 12,99 € pour les livraisons aux Pays-Bas et 15,99 € pour les livraisons en Allemagne, cela est toujours autorisé. Toutefois, un client allemand doit également pouvoir faire expédier des marchandises à une adresse en France pour un prix de 9,99 €.

Enfin, les e-commerçants doivent toujours proposer des prix nets uniformes (art. 4 en lien avec l’art. 2 n° 14). Les prix bruts peuvent varier en fonction du modèle fiscal du pays respectif du client. L’art. 4 § 5 prévoit une exception pour des prix différents pour la vente de livres. En raison des prix fixes du livre qui existent dans certains États membres de l’UE, il est toujours permis de proposer des livres dans différents pays de l’UE à des prix différents, à condition qu’il y ait une obligation légale de le faire.

Article 5 : les moyens de paiement

En troisième lieu, l’article 5 prévoit l’interdiction de traiter les clients différemment en ce qui concerne les moyens de paiement acceptés en fonction de leur nationalité, de leur lieu de résidence ou du lieu de leur établissement. Désormais, toutes les clientes et tous les clients d’un site e-commerce doivent se voir proposer les mêmes moyens de paiement, quel que soit le pays à partir duquel ils accèdent au site. De plus, les clients d’autres pays ne peuvent pas se voir facturer des frais supplémentaires pour les mêmes modes de paiement ou se voir proposer certains modes de paiement jusqu’à un certain montant de commande.

Exemple : un e-commerçant français qui accepte les paiements par carte de crédit VISA doit désormais accepter également les paiements par cartes de crédit VISA émises en Allemagne.

L’interdiction prévue à l’article 5, § 1 du règlement ne s’applique qu’aux opérations de paiement effectuées par virement bancaire, prélèvement automatique ou carte bancaire, qui remplissent les conditions d’authentification et sont effectuées dans une monnaie acceptée par le prestataire. Ceci est régulièrement le cas pour les paiements en euros. Par exemple, si un e-commerçant offre le paiement par carte de crédit VISA, il doit autoriser ce mode de paiement pour tous ses clients. Toutefois, le commerçant n’est pas obligé de proposer en même temps des paiements par carte de crédit MASTERCARD. Les e-commerçants ne sont donc pas obligés de proposer tous les moyens de paiement possible.

Par ailleurs, les e-commerçants peuvent en principe facturer des frais pour l’utilisation de certains moyens de paiement par carte (art. 5 § 3). Néanmoins, selon le règlement sur le géo-blocage, ces frais doivent s’appliquer uniformément à toutes les clientes et tous les clients.

Les crédits et les facilités de financement qui peuvent être accordés aux clients n’ont pas besoin d’être uniformes, car ils ne constituent pas de transactions électroniques. Cependant, le règlement couvre les achats de paiement à réception de facture (populaire en Allemagne notamment), à condition que le paiement soit effectué par virement bancaire, par exemple. Si un détaillant en ligne allemand permet actuellement aux clients allemands « d’acheter sur facture », il doit maintenant l’offrir à tous ses clients, y compris étrangers. Le paiement par Paypal est aussi concerné.

L’art. 5 § 2 prévoit un droit de rétention pour les prestataires. Lorsqu’il existe des raisons objectives et non discriminatoires, les commerçants en ligne peuvent bloquer la vente de biens ou de services jusqu’à ce qu’ils aient reçu confirmation que le processus de paiement ait été correctement engagé. Cette mesure vise à réduire le risque d’exécution anticipée et de non-paiement.

Amendes et avertissements

Les e-commerçants doivent prendre au sérieux les exigences du règlement sur le blocage géographique et les mettre en œuvre dans les plus brefs délais. Le règlement prévoit que les États membres adoptent des mesures efficaces, proportionnées et dissuasives applicables aux infractions au règlement (art. 7, § 2). Les infractions peuvent être sanctionnées par des amendes allant jusqu’à 300 000 euros.

Par ailleurs, les dispositions du règlement sur le géo-blocage constituent indubitablement des règles de conduite sur le marché et peuvent donc être mises en garde par les autorités compétentes. Contrairement au Règlement général sur la protection des données (RGPD), ce point n’est pas controversé. De tels avertissements peuvent également entraîner des coûts importants pour les prestataires concernés.

Que doivent faire les e-commerçants à court terme ?

A court terme, les marchands en ligne doivent vérifier si leurs e-commerces offrent un accès illimité à tous leurs clients. La redirection automatique devrait être désactivée et, si nécessaire, des pages en amont devraient être intégrées afin d’obtenir l’autorisation des utilisateurs du site Web pour la redirection. Toutefois, il convient de veiller à ce que les utilisateurs du site web soient informés de manière adéquate et facile de l’importance de leur consentement et à ce que la possibilité de révoquer leur consentement soit intégrée (opt-out).

De plus, les marchands en ligne doivent revoir leurs conditions d’achat et leurs modalités de paiement à la lumière des exigences traitées et procéder aux ajustements appropriés si nécessaire. Ils doivent en particulier s’assurer qu’il n’y a pas de restriction sur certains pays dans le processus de commande lors de la spécification de l’adresse de facturation. Si l’adresse de livraison est indiquée, des restrictions sur les lieux de livraison proposée sont toutefois autorisées.

Les e-commerçants doivent considérer ce règlement, non pas comme un obstacle supplémentaire, mais comme une nouvelle opportunité. Les ventes en ligne augmentent d’environ 22 % par an. Ceci leur donne ainsi la possibilité d’ouvrir leur offre à de nouveaux marchés et de générer des revenus supplémentaires.

Image : Solvency Ii Wire

Felix Meurer

Felix Meurer est avocat diplômé. Il s'occupe en particulier des aspects juridiques du e-commerce et de divers sujets liés aux réseaux sociaux, ainsi que des questions de protection des données.

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